Initiation ? “Introduction à la connaissance de choses secrètes, cachées, difficiles“ nous dit le dictionnaire. Le mot vient du latin initiare qui signifie commencer, mot qui vient de in ire : avancer dedans, à l’intérieur. Karl Graf Durkheim parle de “ouvrir la porte du mystère“. De fait l’initiation désigne une entrée, un commencement, une ouverture. Les rites initiatiques dans les sociétés traditionnelles accompagnent généralement le passage de l’adolescence à l’âge adulte. Les jeunes sont confrontés à une série d’épreuves, souvent éprouvantes, où le corps est directement concerné.
L’initiation marque ainsi l’accès à une nouvelle dimension de vie et de conscience. C’est une expérience qui transforme fondamentalement l’être humain.
La transformation du corps induit un autre état d’être
La grossesse et l’accouchement peuvent-elles être considérées comme des expériences initiatiques ? Ce qui est certain, c’est que pendant ces neuf mois, une porte s’ouvre sur un autre monde.
Pas à pas, le corps de la femme enceinte se transforme, s’élargit pour faire de la place au tout petit. La femme fait ainsi l’expérience d’habiter un corps différent de celui qui lui est familier. Un corps qui change très vite d’une semaine à l’autre, un corps qui lui fait vivre un état d’impermanence beaucoup plus sensible qu’en temps normal (Le corps est toujours changeant, il n’est jamais totalement le même d’un jour sur l’autre, mais pendant la grossesse ces changements sont beaucoup plus rapides et donc plus facilement perceptibles). Elle est aussi invitée par la présence de son bébé à s’intérioriser davantage, à se mettre à l’écoute de la vie en elle et donc à modifier le lien tissé jusque-là avec sa propre profondeur d’être. Elle est aussi davantage en relation avec son bassin qui est lui même habité son bébé, ce qui la fait se sentir plus centrée qu’à l’habitude. Le deuxième trimestre de la grossesse s’accompagne bien souvent d’états de plénitude, le manque s’estompe, l’esprit s’éclaircit.
Nuit à traverser
L’accouchement constitue une expérience encore plus intense. Comme dans un rite initiatique, la femme est invitée à dépasser ses propres limites, à s’aventurer là où elle n’est encore jamais allée, à apprivoiser sa peur, à lâcher-prise, à faire confiance. Il y a une nuit à traverser (comme certains adolescents sont laissés seuls toute une nuit dans la forêt ou dans la montagne et doivent affronter toutes les peurs liés à ce monde inconnu et effrayant), une nuit qui, si elle peut être franchie, éclaire l’aube d’une lumière nouvelle. Lors de ce moment, la femme peut rejoindre un autre état d’être, sa sensibilité se décuple, sa volonté n’a plus prise, elle s’abandonne, elle se laisse travailler par la vie qui ouvre en elle un chemin. Le temps s’étire, le moment présent s’intensifie.
Atteindre le sommet de la montagne
Certes, la péridurale est plutôt déconseillée sur ce chemin. En enlevant la douleur, elle ramène aussi vers un état d’être beaucoup plus “ordinaire“, elle réenferme dans le temps des horloges, dans les perceptions habituelles, dans la volonté du Moi.
Martine Texier, dans son livre, Accouchement, Naissance : un chemin initiatique, compare la naissance d’une enfant à l’ascension jusqu’au sommet d’une haute montagne, “avec tout ce que cela comporte d’efforts soutenus, de moments de découragement, d’impressions d’élévation, de sentiment de dépassement de soi. “ Si nous restons avec cette image, accoucher avec péridurale revient à décider au milieu du chemin de terminer l’ascension en hélicoptère, on y gagne un confort immédiat, mais l’arrivée au sommet ne sera assurément pas vécue de la même façon.
Il y a bien sûr des situations où il n’y a pas d’autre choix que de prendre l’hélicoptère et chaque femme se débrouille comme elle peut. Avec ou sans péridurale, même si l’expérience du sommet ne sera pas la même, il y aura tout de même, dans tous les cas, ce passage par le sommet, ce moment d’ouverture qui fait que, je le constate toujours lors des cours en post natal, la femme qui a donné la vie n’est plus tout à fait la même que celle que je connaissais en prénatal.
Nathalie Mlekuz