Je reviendrai comme un enfant : voyage en terre inuite

C’est un bien étrange voyage que nous propose ce film, Je reviendrai comme un enfant (I will come back as a baby), réalisé par Christian Merlhiot. Une plongée dans un monde où il est envisageable qu’un enfant puisse naître garçon, puis être emporté par la sage-femme et revenir comme une fille… Un monde où un petit garçon, parce qu’il porte le prénom du père de sa mère, se fait appeler “papa” par celle-ci…. Un monde où une petite fille peut se voir attribuer un prénom de garçon, être habillé comme un garçon, n’avoir que des jouets de garçon et néanmoins s’étonner que l’on puisse lui demander si elle se sent davantage fille ou garçon : du haut de sa dizaine d’année, elle répond, avec une pointe de malice dans les yeux, qu’elle se sent simplement elle-même, “une personne normale” !!

Epaulé par l’acteur libanais Nasri Sayegh qui apparait à l’écran, Christian Merlhiot a posé sa caméra à Igloolik, soit au sein d’une communauté inuite canadienne de 1700 habitants.  Les deux hommes ont apporté avec eux un enregistrement de 1973 où une femme inuite, Iqallijuq, raconte à l’anthropologue Bernard Saladin d’Anglure, les souvenirs de sa vie intra utérine et de sa naissance. Un témoignage qui en suscite d’autres tout aussi déroutants….

Lorsque j’ai entendu, au tout début du film, une mère raconter que son enfant était à la naissance un garçon et que, après avoir été emporté par la sage-femme, il était devenu une fille, cela m’a paru, bien sûr, tout à fait improbable… Et puis petit à petit,  les récits d’autres personnes et les paysages dénudés filmés par le réalisateur, ont commencé à interpeler mes certitudes, mes représentations… A un moment, alors qu’une femme, commentant des lieux désertés, nous confie qu’il ne reste que la petite église, une image s’est faufilée dans mon esprit, une image d’église en pierres, une image brève, fugace qui a précédé de quelques secondes le plan du réalisateur sur l’église en question : un cabanon carré en préfabriqué. Les maisons là-bas sont aussi faites de quelques planches. Et cette sédentarisation est très récente, les habitants d’Igloolik ont longtemps été des nomades, transmettant d’une génération à l’autre essentiellement des qualités humaines et non des biens. Dans ce monde là, la matière n’est manifestement pas aussi stable que dans le notre, elle est mouvante, changeante, peut-être comme la neige, et la conscience du monde est aussi très différente de la notre. Il suffit pour s’en rendre compte d’entendre cette femme raconter sa naissance pour être convaincue qu’elle a effectivement vécu ce moment de tout son être et qu’elle s’en rappelle comme si c’était hier. Elle confie s’être, ce jour là, disputé avec sa mère, car sa mère voulait accoucher sous une tente alors qu’elle voulait, elle, naître en plein air, “parce que l’énergie cosmique est beaucoup plus forte“, elle voulait juste quelque chose de doux, une peau de caribou, pour l’accueillir. Elle a finalement respecté le choix de sa mère, “J’étais un bébé, je ne pouvais de toute façon pas gagner cette lutte“. Tout les détails qu’elle donne ensuite sur le moment du passage entre le monde utérin et le monde du dehors sont d’une précision incroyable…

Un film déconcertant qui mérite le détour et qui nous questionne en profondeur sur les liens entre ce qui est et ce que l’on pense qui est….

Nathalie Mlekuz

 

 

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