L’esprit de répétition dans la vie quotidienne et dans le yoga

Nous vivons une  époque où la nouveauté est beaucoup plus valorisée que la répétition. Chaque semaine nous apporte son flot de nouveaux évènements, nouveaux produits, nouveaux livres, nouveaux spectacles, nouvelles destinations… Nous sommes ainsi, dès notre plus jeune âge, pour la plupart d’entre-nous, conditionnés à aimer le changement. Incités à découvrir de nouvelles activités, de nouveaux lieux, de nouveaux horizons…

Dans ce contexte, la répétition est souvent associée à la routine. Et par ricochet à l’ennui. Faire chaque jour la même chose est souvent perçu comme beaucoup moins exaltant que faire chaque jour des choses différentes. Nous aimons le mouvement, le changement, la découverte….

Dans son livre, L’esprit guide : Entretiens, Karlfried Graf Dürckheim évoque un comédien japonais qui, durant toute sa vie professionnelle, a joué chaque soir le même texte. Nos esprits occidentaux ont vite fait de déplorer cette attitude. Il existe en effet tellement de beaux textes de théâtre. Pourquoi se limiter à un seul ?

Jouer chaque soir le même texte sur la scène de théâtre suppose  forcément de se confronter au plomb de la vie. Ce plomb du quotidien que la nouveauté permet certes d’alléger mais en aucun cas de dépasser. En jouant chaque soir le même texte de théâtre, l’acteur prend le risque dans cette répétition, de sombrer dans l’habitude, de se mortifier, de se fossiliser. Mais à l’inverse, s’il parvient à traverser ce qui pourrait le figer, s’il réussit, soir après soir, à déjouer ce qui pourrait rendre ses gestes mécaniques,  il va peu à peu s’alléger de tout ce qui le corsète, le limite, l’alourdit et développer des qualités de perception de plus en plus fines. Le texte à dire, en effet, reste le même d’un jour sur l’autre, mais le public est différent et l’acteur aussi. La nouveauté est donc présente mais de façon extrêmement subtile. Et c’est cette dimension subtile que seule la répétition permet d’approfondir.

Tu ne mettras jamais deux fois ta main dans la même rivière“ assure le philosophe Héraclite. Jouer chaque soir le même texte de théâtre c’est creuser là où l’on se trouve pour rejoindre la rivière de la vie. C’est être capable de sentir tout ce qui dans l’apparence du même se révèle différent.

Les enfants, à la différence de la plupart des adultes, apprécient  beaucoup ce qui se répète. Ils aiment que nous leur relisions encore et encore la même histoire. Ou revoir le même film, sans jamais se lasser. C’est à chaque fois pour eux une nouvelle aventure. Leur mémoire ne fige rien. Leur regard reste neuf, découvrant à chaque nouvelle fois ce qui leur avait jusque là échappé.

Comme l’assure Léo le chat, mascotte du journal Infos yoga, “La répétition est le contraire de l’habitude“. De fait, la répétition nous offre un cadre sécurisant pour tourner notre regard vers l’intérieur et nous enfoncer dans notre profondeur d’être. Un musicien joue et rejoue sa partition jusqu’à ce que ses mains se l’approprient pleinement jusqu’à ce qu’il puisse exprimer, en toute liberté, dans sa musique, ce qu’il est profondément. Un nageur fait des longueurs  là aussi jusqu’à ce que ses gestes puissent se faire avec une fluidité qui ne relève plus de sa volonté.  Cela finit par se faire tout seul, comme dans l’état méditatif, non pas de façon machinale, sans que nous soyons là, mais au contraire de façon extrêmement juste et dans une grande qualité de présence.

Le yoga qui est assurément un art et un chemin de retour vers la joie de notre enfance,  n’échappe pas à cette dimension de la répétition. Ce n’est que répétée, répétée, répétée, dans une grande liberté face à l’habitude qu’une posture nous livre peu à peu ses secrets. Ou plutôt, plus précisément, qu’elle nous révèle ce que de nous, nous ne connaissions pas encore.

Nathalie Mlekuz

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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