Je regarde les étoiles. Nous sommes un jeudi de juillet et le stage de yoga que j’anime se termine le lendemain en début d’après-midi. Cette dernière soirée a été joyeuse. Alors que la nuit était déjà bien sombre, nous nous sommes éloignées, trois participantes du stage et moi, du lieu d’habitation, pour observer le ciel étoilé. Nous avons commencé par lever les yeux mais, très vite, au vu de l’inconfort de la posture, nous nous sommes allongées sur le socle de la yourte -vestige d’une yourte qui a été emportée par le vent il y a plusieurs années. Le spectacle est somptueux. Nous alternons des moments d’échange et d’autres de silence. Le temps s’écoule. Puis l’une des trois stagiaires se lève et nous quitte. J’hésite à la suivre. Il est déjà tard et le stage n’est pas terminé. Je dois encore assurer la matinée du lendemain. Mon inertie toutefois me cloue au sol. Cela ne m’arrive pas si souvent de pouvoir ainsi contempler la voie lactée.
« J’aurais dû prendre l’escalier »
Je reste encore un peu puis me décide à partir. N’ayant pas le courage de rejoindre le petit escalier, je me déplace vers le bord plus proche de moi. Alors que j’ai posé un pied au sol et que je m’apprête à poser le deuxième, l’un des pieux en bois qui entourent le socle -que je n’avais absolument pas remarqués jusqu’ici- m’érafle le genou. Je saigne. Je me reproche aussitôt de ne pas avoir emprunté l’escalier. Je me sens en colère contre moi même. C’est vraiment trop bête de me blesser ainsi le dernier jour. Les mots reviennent en boucle : J’aurais dû faire davantage attention, J’aurais dû prendre l’escalier. J’aurais dû être plus vigilante. Cela dure plusieurs minutes jusqu’à ce que je prenne conscience que je suis en train de me flageller et ce, alors que je souffre, et que j’ai besoin de réconfort.
Si j’avais su qu’il y avait un pieux, si je l’avais mémorisé, j’aurais bien évidemment pris l’escalier mais au moment où je l’ai fait, je n’avais pas conscience du risque que je prenais. Je peux juger la façon dont j’ai agi parce que je dispose désormais d’une information supplémentaire, ma conscience suite à cet événement s’est enrichie. La prochaine fois c’est certain je prendrai l’escalier mais au moment où j’ai cherché à quitter le socle de la yourte je ne disposai pas de cette information et je ne peux donc rien me reprocher. J’ai agi au mieux en tenant compte de ma fatigue, de mon manque d’énergie.
J’aurais dû, c’est vouloir autre chose que ce qui est
Avec J’aurais dû, nous ne respectons pas, me semble-t-il, ce que le Patanjali appelle Ahimsa (Ne pas nuire, ne pas se nuire) qui constitue la toute première attitude relationnelle requise pour avancer sur le chemin du yoga. J’aurais dû c’est vouloir autre chose que ce qui est. J’aurais dû c’est un bouclier psychique que nous dégainons face à ce qui nous déplait. C’est une formule verbale qui nous donne l’illusion que nous aurions pu faire en sorte que ce qui vient de se produire ne se produise pas, que nous pourrions en quelque sorte l’effacer. C’est être en lutte contre le mouvement de la vie. C’est à la fois un non respect de la réalité et un non respect de soi. C’est assurément une forme de maltraitance.
Le corollaire immédiat étant que Tu aurais dû constitue également, selon moi, une forme de violence. L’autre fait aussi de son mieux avec les informations qui sont les siennes au moment où il agit. Etre dans Ahimsa, y être vraiment, pleinement, c’est me semble-t-il, être capable de déployer en soi un espace d’accueil pour côtoyer intimement ce qui nous blesse, ce qui nous agace, nous contrarie… bref, ce qui nous chahute, ce que nous préférerions ne pas avoir à vivre. Un espace pour accueillir ce à quoi habituellement nous nous fermons, ce contre quoi nous luttons, ce que nous cherchons à repousser. Ce que l’on qualifie de négatif, de désagréable, d’insupportable…
Il n’est pas simple de s’affranchir de ces J’aurais dû ou Tu aurais dû mais les identifier constitue déjà un cheminement intéressant.
Nathalie Mlekuz
4 réflexions au sujet de « Réflexion autour de Ahimsa à partir d’un exemple personnel »
Merci pour ce texte Nathalie, ça m’a rappelé ce beau moment ! et aussi pour les réflexions « j’aurais dû », « tu aurais dû » … Maintenant j’ai des questions sur « faire de son mieux » !! Merci de nous rappeler ce principe Ahimsa (ne pas nuire, ne pas se nuire).
Oui, c’est un beau moment que nous avons traversé ensemble… Merci Sylvie !
Merci Nathalie pour ce partage qui me rappelle ce superbe stage effectué grâce à toi!
Cette anecdote illustre effectivement l’auto-empathie, l’un des piliers de la communication-non-violente, qui souligne que l’empathie ainsi que la compassion, s’appliquent autant envers soi qu’envers autrui.
Je confirme que cette injonction que l’on s’inflige, à savoir le « j’aurai dû » est douloureuse et nuisible à force de la répéter.
Une des grandes satisfactions de tes stages (il y en a plein!!), c’est le fait d’apprendre à accepter/accueillir/gérer ses émotions plutôt que d’être dans le déni.
Clairement, nous vivons à une époque où les émotions dites négatives, quelque soit le contexte (personnel ou professionnel), ont tendance à être rejetées ou stigmatisées. Cela s’observe à travers des mouvements qui ont le vent en poupe comme le développement personnel, la psychologie positive, bref la quête du bonheur par tous les moyens….
Ainsi, j’ai beaucoup apprécié à travers ce stage, le fait d’envisager une nouvelle approche comme tu l’indiques, c’est-à-dire chercher à « s’affranchir de ces j’aurais dû ou tu aurais dû ». Certes, le chemin est encore long, mais comme le suggère le nom de l’auteure de cette photo et comme tu l’as si bien mis en exergue Nathalie, identifier c’est déjà commencer à prendre conscience et par conséquent effectuer un petit pas 😉
Irfane.
Merci beaucoup Irfane pour ce retour. Je partage pleinement tout ce que tu écris. Le yoga nous invite à accueillir ce qui est, ce que la vie nous propose, que nous le jugions positif ou négatif, c’est à vivre…