Enfantement et littérature

Auteure du Journal de ma nouvelle oreille,  récit, selon ses mots, d’une “renaissance au monde sonore“, Isabelle Fruchart aborde, cette fois, dans un texte intitulé Mise au monde (éditions Emoticourt), le thème de la naissance “réelle”.

C’est au Calm (Comme à la maison, première maison de naissance parisienne), dans le cadre d’une résidence d’écriture, qu’elle s’est installée pour écrire cet ouvrage. Non pas, cette fois, un récit mais une recherche sur la façon dont l’accouchement est représenté dans la littérature.

Mise_au_monde_couv

Isabelle Fruchart a ainsi passé en revue cent œuvres littéraires. Les plus anciens de ces textes sont, bien sûr, écrits par des hommes. Il faut attendre le XXème siècle et les années 70 pour que les femmes prennent enfin la parole sur ce sujet : Annie Leclerc avec Parole de femmes (1974) et Annie Ernaux avec La femme gelée (1981).

De Sage-femme à Date de naissance en passant par Médecin, DouleurPériduraleExtase, Césarienne, Séparation, Placenta…. l’auteure nous donne à voir ce dont notre regard est, souvent à notre insu, profondément imprégné.

Au fil des pages, elle nous pointe ce que la littérature reflète du monde de la naissance : la prise de pouvoir des médecins sur les sage-femmes, la généralisation, pour l’accouchement, de la position allongée “idéale pour le praticien mais contraire aux lois de la physiologie“. Elle nous raconte la dureté des gestes de certaines sages-femmes : “Enfin, elle s’approche de moi. C’est pour me raser les poils du pubis avec une brutalité experte et indifférente (Parole de femme) ; la violence et l’abjection de certaines paroles, comme celle de ce médecin, personnage du livre Au début de François Bégaudeau : “Vous les sentez mes doigts ? Ils n’ont rien à faire là, alors poussez“.

Elle nous dit aussi la déconsidération profonde du corps des femmes, la déconsidération du féminin dans son ensemble, les normes si contraires au mouvement de la vie qui varient selon les époques, la souffrance des femmes qui n’ont pas vécu l’accouchement qu’elles auraient aimé vivre (“La femme césarisée est celle “qui n’a pas pu, qui n’a pas su“. Son sexe est “trop fermé“. De l’accouchement, elle ne connaît “que la souffrance, pas le triomphe” (Mère agitée)”).

A l’inverse, elle nous montre que la littérature parle aussi parfois de la beauté, du mystère, de la puissance de la naissance… “Tous les jours, je regarde ma fille comme si elle venait de naître et je n’en reviens pas. On ne revient pas de la naissance, on y reste, on y est toujours” (Abandonnés, Camille Laurens). Elle témoigne également de certaines réactions fascinantes des tout petits (comme ce bébé, né en camp de concentration, qui ne pleure pas…)

Si la lecture de ce petit livre est assurément instructive, elle est aussi émouvante grâce notamment aux confidences égrenées ci et là par l’auteure. Comme celle-ci : “Quand j’ai étudié la reproduction la première fois, j’avais dix ans. L’instituteur nous a fait voir un film qui montrait un accouchement. J’étais affreusement gênée. Pas à cause des images. A cause des cris de dégoût de mes camarades, que je ne partageais pas et qui faisaient naître en moi la honte de ne pas trouver ça dégoûtant, comme eux“. Ou celle-là au sujet du placenta : “Quand la sage-femme avec laquelle nous préparions l’accouchement a raconté que les bobos le mangeaient en smoothie, j’ai poussé comme les autres un “bah” dégoûté. Je n’imaginais pas que ma curiosité serait la plus forte et qu’à la faveur d’une rencontre et de quelques lectures, moi aussi, je mangerai le mien, relevé d’aneth et de gingembre en sashimi. je n’ai pas eu de baby blues“ !  Des petits cailloux de mémoire qui font écho aux extraits littéraires cités et qui donnent à l’ensemble une cohérence sensible.

Nathalie Mlekuz

 

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